Grecs versus barbares

La démocratie directe d'Athènes est le fruit d'un groupe d'individus qui ont pris conscience de leur humanité. Ils ont développé deux grandes cultures : la culture de la discipline et la culture de l'amitié de la praxis. Ces deux cultures sont pour moi l'explication du miracle hoplitique.

Le livre de Mogens H. Hansen sur la démocratie à Athènes est émaillé de multiples procédures complexes suivies naturellement par les grecs. Nous pouvons parler d'une intelligence des procédures. Dans le chapitre sur "Le Tribunal du Peuple" nous sommes frappées par la complexité des procédures qui sont loin de notre portée. Le lecteur pourra relire le sous chapitre "le tirage au sort des jurés" qui se termine par le commentaire suivant :"Qui plus est, on trouve partout dans le régime athénien des traces de procédures aussi compliquées et longues...".La procédure reprise dans ce sous chapitre est également expliquée dans quatre chapitre de la Constitution d'Athènes d'Aristote.

Cette culture est une condition sine qua non pour l'apparition de la démocratie. Ces hommes étaient convaincus qu'ils ne pouvaient se réaliser en tant qu'homme que dans la réalisation du groupe. L'homme libre pour se réaliser doit être au niveau de ses tâches personnelles, organisé et discipliné tout comme il doit adopter les tâches du groupe libre organisé et discipliné. Le barbare est celui qui n'est ni discipliné à son niveau ni au niveau du groupe.


Lors des affrontements l'homme libre fera la différence avec l'homme barbare. A la bataille de marathon, dix mille grecs affrontèrent cent milles hommes. Grâce à la discipline, aux respects des procédures dans les rangs des phalanges, les grecs mirent en déroute leurs ennemis en leur infligeant de très lourdes pertes. C'est lors de ces affrontements que les grecs ont pris collectivement conscience de l'efficacité de la discipline des groupes. En face d'eux, ce ne sont que procédures sommaires tant l'intelligence de groupe fait défaut.



Cela veut dire pour les membres de la famille en affaire que ses membres doivent comprendre, adopter, mettre en place des procédures et les faire vivre pour faire fonctionner l'intelligence de groupe.

Parallèlement au sein des rangs des phalanges, l'amitié de la praxis a également pris tout son sens. Les hommes sont dans la praxis quand ils oeuvrent d'égal à égal dans un but commun. Sous cette perspective du but commun, ils développent l'écoute, l'empathie, la bienveillance, la proximité, c-a-d tous les traits qui caractérisent l'amitié.Aristote décrira cette amitié que nous traduisons amitié de l'utilité (Praxis) tout comme il a décrit l'amitié de l'agréable, la plus communément comprise de nos jours dans notre société moderne.

Cette dernière est du domaine de l'intimité. Cachée du reste du monde, elle n'a aucune valeur politique pour rejoindre Hannah Arendt.Dans cette amitié, il s'agit d'effacer le politique -en tant que science de l'association poursuivant un but commun- et d'être dans le plaisir sans contrainte. Nous sommes dans la valorisation des envies de l'individu qui s'exprime et fait comme il l'entend puisqu'être ami de l'agréable consiste à accepter l'autre sans aucune exigence. Choses faciles car nos sorts ne sont pas liés. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre la désagrégation de l'institut du mariage qui se voit expurger de toute dimension politique. L'amour prime sur le mariage comme organisation politique de deux êtres, cela fait longtemps que les hommes et les femmes n'ont plus de projets en commun, que leurs sorts ne sont plus liés.

L'amitié de la praxis survit encore de nos jours chaque fois que des hommes se réunissent pour oeuvrer d'égal à égal dans un but commun, les sorts des uns et des autres sont intimement liés. Cela peut être des oeuvres caritatives comme le mouvement d'Emmaüs de l'Abbé Pierre ou plus proche de nous encore les Restaurants du Coeur de Coluche. Quand dans cette amitié de la praxis, il s'agit de mobiliser des capitaux en vue de créer une activité financièrement autonome, nous sommes dans le domaine des affaires tel que l'histoire d'un pays comme la France l'a vécu et finalement conçu et écrit dans sa Loi. Cette amitié de la praxis a pris le nom dans le droit français d'affectio societatis. Il constitue un élément caractéristique de l'entreprise : la volonté commune entre plusieurs personnes de s'associer. Là où Aristote définit des hommes oeuvrant d'égal à égal dans un but commun, la jurisprudence française nous parle de volonté implicite ou explicite des associés à collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la poursuite de leurs intérêts.

Cette amitié est fondamentale pour la famille en affaires tant pour son fonctionnement interne que pour son fonctionnement avec le reste du monde. Une famille pour se maintenir dans les affaires doit être en mesure de faire des alliances en s'entourant d'amis de la praxis : c'est le capital social.

La culture de la discipline et celle de l'amitié de la praxis sont les deux cultures d'une civilisation qui fut le berceau de l'occident.


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